Il y a un sujet assez sensible dans la communauté des étrangers vivant en Afrique. Il y a 20 ans, la question ne suscitait pas vraiment de débat. Un européen ou un américain qui vivait en Afrique était considéré et appelé « expatrié ». Un expatrié c’est, littéralement, quelqu’un qui vit hors de sa patrie. On pourrait donc se dire que c’est une forme d’émigration comme une autre. Cela dit, dans le langage courant ce terme n’est généralement utilisé que pour les occidentaux vivant en Afrique ou en Asie.
C’est un sujet délicat, qui revient souvent dans les discussions ou forums que je suis (qui ont l’art de choisir des noms comme « communauté des expats vivant à X »et d’en interdire l’accès aux returnees du dit-pays et parfois même aux étrangers des pays voisins considérant qu’un Kenyan ne rencontre pas les mêmes difficultés qu’un Canadien en arrivant au Rwanda… Je vous laisse vous faire votre opinion concernant ce type de logique, personnellement je trouve ça assez pathétique ). Généralement, certains comme moi, aiment préciser que nous ne nous considérons pas comme des expats. Nous avons choisi de nous installer ici, pour raison économique ( dans notre cas : créer une entreprise qu’il aurait été plus difficile de créer dans un pays deja saturé par ce type d’entreprise ) , d’autres par amour ( petit ami/ petite amie vivant ici et installation pour le/la rejoindre), d’autres pour trouver un emploi plus intéressant que dans leur pays d’origine, d’autres par envie d’aventures, d’autres enfin parce que les conditions de vie ou climatique leur semblent plus propices etc. Il y a donc une raison sociale ou économique, et surtout c’est un choix, une volonté . Au même titre que presque tous les migrants en fait. Choisir de vouloir offrir une vie meilleure à sa famille, d’avoir plus d’opportunités. Mais nos origines, nous confèrent un statut particulier, que certains souhaitent conserver, il faut dire que les privilèges c’est toujours agréable.
Le statut d’expatriés existe toujours cela dit, je pense par exemple aux diplomates qui sont nommés et envoyés pour une durée déterminée, qui ne choisissent pas spécialement la destination, ou a des employés qu’on envoie à tel ou tel endroit afin d’accomplir une mission spécifique pour l’entreprise et là aussi, limitée dans le temps par un contrat. En dehors de ça, je considère que le terme expatriés n’est pas forcément adapté. Choisir de s’installer ailleurs c’est migrer.

J’ai lu et entendu, certaines personnes s’énerver, en expliquant qu’un occidental n’est pas un migrant car il retournera chez lui tot ou tard, qu’il ne souhaite pas la nationalité du pays où il s’expatrie et je cite, qu’il est souvent ici car « il a des qualifications professionnelles plus hautes que celles qu’ont les gens du pays en question ». En resumé, l’occidental est une richesse pour le pays qui l’accueille, le migrant ne l’est pas (et le migrant est perçu comme quelqu’un souhaitant absolument changer de nationalité, or souvent cette volonté est motivée par le fait qu’obtenir la nationalité du pays où on vit, facilite pas mal de choses) . Il y a aussi la notion de temporaire, la plupart des expats disent qu’ils repartiront mais certains vivent ici, ou à l’étranger depuis plus de 20 ans, sont propriétaires dans le pays où ils vivent, y ont leur entreprise, d’autres sont pensionnés et ne vont dans leur pays d’origine qu’une fois par an quelques semaines. Peut-on continuer de les qualifier d’expats dans ces conditions? Il y a 20 ou 30 ans, il est vrai que les expats étaient des gens avec des qualifications particulières, aujourd’hui la plupart des pays en voie de développent ou des nouveaux pays industrialisés , ont une partie de la population qui est tout autant qualifiée. Certes ils ne sortent pas de Harvard ou de l’ENA, ( pas plus que la majorité des expatriés d’ailleurs) mais ils ont étudié la médecine en Afrique du Sud, en Inde ou au Sénégal, les sciences politiques au Kenya, au Nigéria ou à Singapour. Ils sont formés et capables de gérer des projets même titre qu’un expat. Dès lors, le statut d’expats redevient littéralement: une personne loin de sa patrie, qui a choisi de venir travailler ailleurs pour des tas de raisons , le plus souvent économiques.
Le sujet et les discussions qui l’accompagnent restent épineux . J’imagine qu’il le restera encore quelques temps. Le temps aussi que les Africains et les Asiatiques cessent, eux aussi, de qualifier d’expat, les étrangers qui viennent s’installer chez eux à long terme. Et du coté des expats, le temps d’accepter qu’en se présentant comme tel, on essaye d’imposer ou de s’offrir un statut à part qui évidemment est plus sexy que migrant. Mais qui pourtant est identique : s’installer dans un pays pour un travail mieux payé, des conditions de vie plus agréable ou avoir la possibilité de lancer une entreprise. Et qu’on retourne ou ou deux fois par an, de là où on vient, ne nous distingue pas spécialement. Si les lois des pays occidentaux le permettaient , les migrants retourneraient probablement chez eux en vacances, quand ils ne viennent pas de pays en guerre. Mais le statut de migrant est plus complexe chez nous qu’ici, où l’étranger est accueilli et libre de circuler, de faire des aller-retours vers son pays d’origine sans conséquence sur son visa, là où dans certains pays occidentaux, en quittant le territoire,on perd le statut de résident étranger, et on doit tout recommencer.
Toujours dans cette différenciation de statut, le communautarisme est aussi perçu différemment . Les gens qu’on qualifie (ou qui se qualifie) d’expatriés aiment rester entre eux: on organise des soirées entre canadiens, entre belges, on met nos enfants dans les mêmes écoles, on fréquente les mêmes restaurants, les mêmes club de sport, on vit dans les mêmes quartiers … Quand des migrants font cela en Europe, on estime souvent que cette attitude est à déplorer car elle montre qu’on ne souhaite pas vraiment s’intégrer or à l’étranger, ce communautarisme est considéré comme normal, personne ne va le condamner. Que les gens loin de chez eux, recherchent des gens qui leur ressemblent n’est pas mal perçu. Ici.
Si je voulais vous parler de ce sujet, c’est parce que j’ai reçu deux demandes pour participer à des groupes de blogger « expat » , et si à priori, dans le sens littéral, je suis partante, ça se corse souvent quand je comprend qu’en fait le but de ces groupes c’est de parler uniquement de sujets qui peuvent intéresser les occidentaux. Le sujet de la repatriation,des returnees, des entrepreneurs locaux, ne les intéressent absolument pas. Sur ce blog, j’ai vraiment envie de m’adresser à tous ceux qui sont intéressés par le Rwanda, l’Afrique en général, par le fait de choisir de vivre ailleurs à plus ou moins long terme, ou de voyages, de s’intéresser à la culture, et tout cela de façon inclusive et pas exclusive. Il m’arrivera donc de continuer à parler d’expatriation mais toujours dans le sens littéral et pas commun. Et la précision me semblait importante. ( Cela dit désolée pour le pavé 😁).
Hello! J’aime beaucoup ton article qui pose d’intéressantes bases pour distinguer la situation d’expatrié de celle de migrant. Je pense que cette idée de retour ou non retour est tres pertinente.
Je te rejoins complètement également sur le communautarisme dont j’ai pris conscience en lisant tes mots. Tu as tellement raison! On le reproche constamment aux populations en Europe comme s’ils ne cherchaient pas à s’intégrer. Aujourd’hui cela me semble tout à fait naturel d’aller vers les gens qui nous ressemblent et avec qui on a, quelque part, un passé commun. Quand je rentrerai ( oui oui je suis expatriée ahah) je ne regarderai jamais plus ces communautés du même regard.
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Je t’avoue que je l’ai réalisé en vivant ici moi aussi ! Même par rapport à tout ça, le positionnement par les mots, c’est pas évident. On est catalogué, on se catalogue et les choses évoluent. Avant aucun expat n’aurait parlé d’émigrer, maintenant je l’entends parfois. Plus chez les Anglo-Saxons cela dit. Bref c’est un sujet intéressant, merci pour ton message Djanguette!
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Pavé très intéressant ! Merci pour ton regard sur l’immigration, pour tes mots si justes et pour ce regard sur monde qui m’est inconnu.
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Contente que le sujet t’ait intéressée. C’est en effet un monde très différent de celui qu’on peut voir en voyageant.
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Ahhhhh comme ça fait du bien de te lire !! Je « fréquentais » un blog d' »expat » parce qu’elle faisait du patchwork, et ses lamentations sur ses difficultés à trouver une bonne femme de ménage m’ont donné envie de prendre l’avion juste pour lui faire faire son ménage elle-même !!
Je vais me promener sur ton blog régulièrement 🙂
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Ohhhhhhh je vois très bien . C’est vraiment très exaspérantant parfois ce genre d’attitude. Heureusement, je commence à percevoir du changement chez les 25-35 ans qui viennent vivre ici. Un peu moins de sentiments de privilégiés. Les choses changent !
À bientôt .
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