Il n’y a pas forcément une bonne raison de « rentrer », il peut y avoir différentes raisons derrière cette envie. Dans notre cas, John et moi avions des raisons communes et différentes.
En commun, nous partagions l’envie d’élever notre fille ailleurs qu’en Belgique uniquement, nous voulions plus de multiculturalité . Nous avions aussi le sentiment qu’il serait difficile de sortir de nos cases en restant dans l’environnement où ces cases existaient depuis si longtemps. Nous cherchions notre page blanche afin de pouvoir découvrir qui nous étions quand personne n’était là pour nous regarder ou dire ce qu’on devait faire, même implicitement .
J’ai passé ma vie de jeune adulte à me conformer à ce qu’on attendait de moi plutôt qu’à être moi. Je ne regrette rien, c’était ce qui me convenait en ce temps là. Être dans la norme.
J’ai fait de études universitaires parce que c’est ce qu’il fallait faire, j’ai accepté la première offre de travail reçue dans une entreprise assez importante parce que les avantages que cet emploi offrait étaient intéressants. Mes choix étaient uniquement des choix de raison, des choix conformistes.
J’ai ensuite eu trois années très intéressantes comme attachée parlementaire pour deux députés. Mais mon idéalisme confrontée à la réalité politique fût heurté. J’avais , et j’ai toujours, l’impression qu’une fois dans le système même le plus idéaliste des politiciens se perd car le système n’aime pas les idéaux.
Je suis donc retournée dans une grosse compagnie pour la sécurité de l’emploi (toute relative au final car l’entreprise fusionnera quelques années après et beaucoup perdront leurs emplois ) que ça offrait. Sauf que je détestais tellement de choses dans cet emploi. Les grosses hiérarchies impliquent de se plier à « ce qu’on a toujours fait » , de suivre l’esprit d’entreprise. Et je ne crois pas être faite pour ça. Je déteste l’idée qu’on ne remette pas les choses en question juste parce qu’elles fonctionnent. J’aime la créativité, la nouveauté, les projets différents et là tout cela n’intéressait pas trop mon management, pour eux ce qui comptait c’était de tout systématiser.
Après la naissance de ma fille, cette réalité professionnelle m’a semblé encore plus insupportable, d’autant que subitement j’ai aussi découvert un aspect de la hiérarchie détestable : la pression exercée sur les jeunes mères qui reprennent le travail. Ma manager qui jusqu’ici avait été charmante me reprochait d’être moins investie. Mon travail était pourtant toujours irréprochable mais j’avais osé demandé un congé parental hebdomadaire et pour elle je plaçais ma fille avant le travail en faisant cela (et évidemment que ma fille était ma priorité mais pas durant mes heures de travail) .
J’ai dû avoir recours aux ressources humaines car ça a dégénéré rapidement en harcèlement. Appels en soirée ou les jours de mon congé hebdomadaire sous des prétextes bidons, emails sur ma boîte privée, déplacements de dernière minute qui m’empêchaient d’être à temps à la crèche . J’ai appris qu’elle était coutumière du fait et réalisé que toutes les jeunes mères de mon service avaient soit changé de service soit démissionné. De mon côté, j’ai réussi à la maintenir à distance pour éviter d’en arriver là mais son attitude m’a énormément touchée moralement, et le fait que les RH savaient mais ne faisaient pas grand chose car cette manager avait d’excellents résultats pour qu’on se passe d’elle (en pressant son équipe mais peu importait apparemment).
On était en 2012 et je me suis demandée ce que je faisais là. Je rentrais du travail et j’étais triste, je me sentais aussi inutile, ce travail n’étant déjà pas épanouissant en tant que tel à la base et encore moins dans ces circonstances . Je regardais ma fille de 4 mois qui avait passé sa journée en crèche et je me demandais pourquoi ça devait être notre réalité. Et quel exemple je lui donnais en acceptant cette réalité. Ce fut mon déclic, je devais me sortir de là.
J’ai commencé à contacter des gens que je connaissais qui vivaient à l’étranger et à poser des questions. J’ai lu des témoignages de repats, la plupart étaient afro-américains, Nigerians ou Ghanéens . J’en trouvais peu en français. J’ai trouvé quelques interviews de Diane-Audrey la fondatrice de Visiter l’Afrique. Et elle m’a tellement inspirée. Son parcours était exceptionnel. Son retour à Douala courageux et intéressant. Et ce site, visiter l’Afrique une merveille qui nous rappelle ce qu’est l’Afrique quand on arrête les clichés et quand on parle nous même .
Tout cela ravivait aussi mes idéaux. L’Afrique ce continent mal aimé et que pourtant moi je percevais différemment. Je me suis toujours intéressée à cette partie de mon identité, j’ai toujours détesté les clichés qu’on me renvoyaient sur ce continent, un continent où j’avais vécu jusqu’à mes 11 ans. Oui la pauvreté, la guerre, la famine existent mais non ce n’est pas la seule réalité.
L’Afrique c’est aussi la créativité, le dynamisme, le potentiel, l’espoir et la résilience. Et subitement, je me suis demandée si rester en Belgique avait du sens alors que je croyais, et crois toujours, que c’est sur place qu’il faut aller pour faire avancer les choses. Cette question ne me quittait plus : pourquoi ne pas rentrer /retourner ? Et ses corollaires mais où et pour faire quoi ?
Très vite le Rwanda a été dans ma tête mais c’est un pays que je ne connaissais que par ce que ma mère et ma famille m’en avait dit, par mes lectures, et par les conférences auxquelles j’avais assistées durant des années. J’ai aimé le Rwanda sans le connaître, je l’aimais pour ce qu’il représentait. Une partie de mon identité. Mais aussi un idéal : ce petit pays au passé dramatique était désormais un exemple de tout ce en quoi je croyais : espoir, résilience, dynamisme et potentiel, et ce malgré les difficultés qui bien sûr existent aussi ici. Nous étions en 2013 et j’ai commencé à en parler à mon mari. Je regardais aussi en ligne pour des opportunités professionnelles mais les ONG, ce n’était pas pour moi et mon idéalisme panafricain. L’aide c’est une chose importante mais ça nuit souvent au développement quand on en arrive aux proportions que l’on connaît sur ce continent. Ces ong sont devenues pour beaucoup du business avec avantages qui font tout pour rester en place, elles emploient plus d’étrangers que de locaux, ont des payrolls tellement important et continuent de vivre de subsides qui devraient en fait être alloués à leurs projets. Très peu ont un réel impact mesurable, il faut se l’avouer. Sans parler d’un certain partenalisme qu’elles entretiennent. Il existe d’ailleurs des livres et des articles sur le sujet très intéressant qui ont renforcé ce sentiment que ce n’était pas ce à quoi je voulais participer. Bref, je ne pouvais pas rentrer par ce biais.
De plus, je n’avais vraiment plus envie d’être employée. J’avais envie de faire, milles idées et de l’énergie.
J’aurais pu sauter dans un avion directement en fait . Heureusement, mon partenaire et son pragmatisme étaient là . John avait aussi envie de partir mais pas n’importe comment. On discutait énormément , c’était même parfois houleux . J’avais la fougue , il avait la raison. Mais depuis Bruxelles, il nous était impossible de réellement se décider. Il fallait qu’on aille sur place, se confronter à la réalité, une réalité qu’aucun de nous deux connaissaient. La date était fixée. Le 25 janvier 2014, nous irions tous les 3, John, Adèle et moi au Rwanda. Cet ailleurs dont je rêvais mais qui n’en était pas vraiment un. À suivre…